Chers représentants de la famille de feu M. le Premier ministre Patrice Lumumba,

chers représentants de la communauté africaine en général et de la communauté congolaise en particulier,

chers participants issus d’institutions culturelles et scientifiques ou de l’engagement sociétal particulier,

chers collègues de l’Université d’Anvers,

chers amis,

Je vous souhaite la bienvenue à cette cérémonie toute particulière, ici, dans l’amphithéâtre cérémoniel de l’ancienne Haute-école coloniale belge. Entre 1920 et 1962, des hommes ont reçu dans ce bâtiment une formation d’élite pour ensuite « diriger » les colonies. Dans cet amphithéâtre, ici, année après année, les soutenances publiques des thèses se sont déroulées. Dans cet amphithéâtre, ici, année après année, les diplômes ont été solennellement remis. Depuis nombreuses années, ce bâtiment est aussi le cœur de l'université, puisqu'il abrite le rectorat et les services centraux de l’Université d’Anvers

Cette université est le successeur indirect de la Haute-école coloniale. En 1965, en effet, le personnel de l’ancienne Haute-école a été intégré au Centre universitaire d’État d’Anvers, le Rijksuniversitair Centrum Antwerpen (RUCA). Les bâtiments ont également été remis à l’université.

À droite du rectorat se trouve un petit monument totalement oublié, envahi de mauvaises herbes, de buissons et caché par les arbres. Ce monument a été érigé à la mémoire des Belges de la région d’Anvers morts dans l’État indépendant du Congo, donc avant 1908.

Bref, ce site historique est chargé d’un passé auquel nous devons faire face.

Cette cérémonie ne concerne pas uniquement l’histoire de notre université et celle de la Belgique et de son passé colonial. Car la façon dont nous abordons notre passé reflète aussi le monde auquel nous aspirons, le monde dont nous rêvons.

La façon dont nous abordons notre passé reflète aussi le monde auquel nous aspirons, le monde dont nous rêvons


Il ne s’agit donc pas seulement d’une cérémonie centrée sur le passé, mais aussi sur l’avenir. Que représentons-nous en tant qu’Université d’Anvers ? Quel genre de monde désirons-nous ?

Le monde de demain n’est pas uniquement façonné par la politique d’État ou par des projets éducatifs, culturels ou sociaux. Notre société se construit aussi par la manière dont nous interagissons avec les autres, ici et maintenant. Avec des valeurs telles que le respect, l’inclusion, la confiance, la réconciliation, l’espoir, l’amour. Nous devons être crédibles dans ces domaines également. Et c’est la raison pour laquelle, chers participants, nous sommes réunis en ce jour.

Aujourd’hui, cet amphithéâtre est baptisé « Amphithéâtre Patrice Lumumba ». L’octroi solennel d’un nom est un rituel par lequel nous créons des liens entre nous.  De même que l’octroi solennel d’un nom permet de rendre un hommage. Par ces pratiques cérémoniales, nous témoignons notre respect à la fois à la personne en tant qu’être humain et à l’individu en lui-même avec son propre parcours de vie.

En 1960, M. Patrice Lumumba est devenu le premier Premier ministre du Congo indépendant. Il a été assassiné le 17 janvier 1961. Il avait à peine 35 ans. Ce meurtre a été commis avec la complicité des Belges et au vu et au su du gouvernement belge. 

M. Patrice Lumumba avait dénoncé ce qu’une commission parlementaire belge a également constaté récemment : « la domination et l’exploitation coloniale, la violence et les atrocités, les violations individuelles des droits humains, ainsi que le racisme et la discrimination ».

Dans les décennies qui ont suivi sa mort, Patrice Lumumba s’est pour ainsi dire transcendé et est devenu un symbole important d’émancipation, de respect, d’égalité et de respect des droits humains. 

Chers participants, par l’octroi de ce nom à cet amphithéâtre, nous rendons tout d’abord hommage à feu M. le Premier ministre Patrice Lumumba, et nous apportons notre soutien à sa famille et à tous ceux qui chérissent sa mémoire par respect pour ce qu’il était et ce qu’il est.

Ensuite, depuis cette université, une institution liée de manière institutionnelle à la Belgique et à son passé colonial, nous pointons la co-responsabilité de la Belgique dans sa mort.

Enfin, nous nous engageons à œuvrer pour les valeurs que M. Patrice Lumumba symbolise aujourd’hui.

Nous nous engageons à œuvrer pour les valeurs que M. Patrice Lumumba symbolise aujourd’hui


Cette dénomination symbolique est donc également un engagement pour l’avenir de notre université.

Le débat sur la décolonisation est bien vivant dans la société, y compris au sein de cette université. Bien entendu, parce que les personnes issues de l’immigration, d’Afrique ou d’ailleurs, sont confrontées à un racisme structurel, à des micro-agressions et à des préjugés – parfois même au sein de notre université. Nous aussi sommes confrontés à ces défis. Nous devons continuer à lutter contre ces mécanismes d’inégalité et renforcer notre engagement, afin que notre université puisse être un espace sûr pour chaque étudiant et membre du personnel. Comment y parvenir ?

L’Université d’Anvers entend sincèrement s’engager dans le monde de demain. Le conseil d’administration débat actuellement d’un approfondissement de notre déclaration de mission, qui mettrait davantage l’accent sur la diversité, l’inclusion et le respect. Nous avons élaboré un cadre stratégique baptisé « Engagement global », qui nous incitera, dans les années à venir, à réfléchir de manière critique à la dynamique du pouvoir qui exerce une influence sur l’enseignement, la recherche et nos partenariats internationaux. Nous prenons également des initiatives pour que notre université puisse garantir un espace sûr pour tous. Nous considérons donc qu’il est très important de renforcer nos canaux de signalement des comportements inappropriés, du racisme et de la discrimination.

Nous voulons être une université où chacun puisse se sentir le plus possible « comme à la maison »


Nous voulons être une université où chacun puisse se sentir le plus possible « comme à la maison ». Ainsi, l’université adopte non seulement une approche ascendante, mais aussi une approche descendante. Grâce à un programme d’études polyvalent proposant des cours qui élargissent les horizons, nous visons à former nos étudiants non seulement à devenir des experts, mais aussi des citoyens démocratiques ouverts sur le monde.

L’Université d’Anvers investit dans la sensibilisation et la professionnalisation de son corps enseignant sur la question de la diversité. Ainsi, nous appelons également à ne pas aborder les programmes et le contenu des cours uniquement d’un point de vue eurocentré.

Dans nos recherches, nous visons à aborder les ODD en renforçant la coopération et la solidarité internationales, en relevant les défis mondiaux et en remettant en question de manière critique les processus de travail.

Nous approfondissons également notre tradition de collaboration intense avec les universitaires et les institutions partenaires des pays du Sud.

La décolonisation consiste donc à aborder de manière critique notre héritage historique par l’analyse et la déconstruction des systèmes de pouvoir. Pour ce faire, nous accordons une attention particulière aux inégalités et aux mécanismes d’exclusion, ainsi qu’à la domination des connaissances eurocentrées ou autres qui en découle et qui est souvent normalisée. Et ce, aussi bien par le passé qu’aujourd’hui.

La décolonisation n’a rien à voir avec un «cancel culture», au contraire: elle consiste à mettre en lumière ce qui n’était et n’est pas raconté et vu


La décolonisation n’a rien à voir avec un «cancel culture», au contraire: elle consiste à mettre en lumière ce qui n’était et n’est pas raconté et vu. C’est sur cette base que nous construirons le monde de demain. Personne ne doit donc renoncer à quoi que ce soit, mais nous renforcerons l’humanité de chacun.

Et voilà les raisons pour lesquelles, chers participants, nous nommons aujourd’hui solennellement cet amphithéâtre « Amphithéâtre Patrice Lumumba ».

J’invite maintenant Son Excellence Madame Juliana Lumumba à prendre la parole.