Bonsoir, 

tout d’abord à Juliana et à tous les membres de la famille de Patrice Lumumba, 

chers recteur, professeurs, personnel de l’UAntwerpen, 

et surtout chers camarades étudiants, 

et tous ceux qui ont des origines congolaises et africaines, 

bienvenue,

Je m’appelle Victorine Mpanzu Kwamy. C’est ma première année dans cette université, où je fais une passerelle pour ensuite suivre le master en communication professionnelle multilingue. En plus d’être étudiante, je suis cette année la présidente de l’AYO, l’African Youth Organisation, l’organisation de la jeunesse africaine. L’AYO est une association estudiantine établie ici, à Anvers. Nous nous adressons aux étudiants d’origine africaine, mais également à quiconque s’intéresse à l’Afrique. L’objectif de l’AYO est d’offrir un espace de rencontre à la jeunesse afro-belge afin de promouvoir sa culture et sa connaissance de soi.

La collaboration avec l’AYO dans le cadre de cette inauguration a débuté il y a cinq ans. Au départ, nous avons émis plusieurs réserves quant à ce projet, notamment car nous, en tant que l’association estudiantine AYO, avions l’impression de n’être impliqués qu’à des fins de représentation, sans réelle participation de l’AYO. Aujourd’hui, ces préoccupations sont derrière nous, car moi, Victorine Mpanzu Kwamy, je me tiens fièrement devant vous. Je suis fière en tant que présidente de l’AYO, mais je le suis également d’être une étudiante d’origine congolaise qui a la chance de témoigner l’honneur et le respect qui lui sont dus à un héros de son pays d’origine.

Je me tiens fièrement devant vous en tant que présidente de l’AYO, mais je le suis également d’être une étudiante d’origine congolaise qui a la chance de témoigner l’honneur et le respect qui lui sont dus à un héros de son pays d’origine


C’est à l’âge de 11 ans que j’ai appris l’existence de Patrice Lumumba. Pas à l’école, mais par l’intermédiaire de ma mère. Elle m’a parlé de l’exploitation, de la violence et de l’oppression dont le peuple congolais avait été victime de la part des Belges. Dès lors, j’ai essayé d’en savoir plus au sujet du colonialisme en écoutant les dires de mes parents et de mes grands-parents, en lisant des livres, en regardant des films, etc. Après réflexion, j’ai remarqué que, durant mon cursus scolaire, Patrice Lumumba n’avait jamais été évoqué. Même ici à l’université, ce n’est arrivé que lorsque nous avons parlé de l’inauguration.

Je me pose donc cette question aujourd’hui: quel est l’état des connaissances des personnes qui n’ont pas d’origines congolaises sur le passé colonial de la Belgique ? Le passé colonial de la Belgique n’est pas ou pas assez enseigné dans les écoles belges. Une étude montre que 80 % des Belges ignorent qui est Patrice Lumumba. À mes yeux, il s’agit là d’un véritable scandale.

Je me pose donc cette question aujourd’hui: quel est l’état des connaissances des personnes qui n’ont pas d’origines congolaises sur le passé colonial de la Belgique ?


L’histoire de Patrice Lumumba est une histoire de courage, de fierté et de détermination. Par son courage, sa fierté et sa détermination à apporter du changement, il est devenu non seulement un acteur clé de l’indépendance de son pays, mais aussi une source d’inspiration pour tous ceux qui se battent pour la justice. Aujourd’hui, cet amphithéâtre situé dans un bâtiment où l’on apprenait à diriger les colonies se voit octroyer le nom de l’homme qui a donné sa vie pour libérer son pays des griffes de ces hommes, Patrice Lumumba. Une action symbolique très forte et puissante. Une action nécessaire pour lui donner, à lui et à son combat, la visibilité qu’ils méritent, et pour contribuer à la reconnaissance et à la mise en lumière de l’histoire, mais cela ne devrait évidemment pas s’arrêter là.

En tant qu’étudiante, je me suis engagée à respecter le plan d’action « Engagement global ». Un cadre stratégique axé sur l’éducation, la recherche et les partenariats internationaux. Ce qui importe le plus à mes yeux, en tant qu’étudiante, est l’attention portée à l’enseignement et au programme d’études. Décolonisez le programme scolaire ! Les connaissances eurocentrées sont encore trop souvent considérées comme la norme. Une place doit être donnée à de multiples sources de connaissances, ainsi qu’une attention à la réalité et aux conséquences du passé colonial, et en particulier au rôle de la Belgique.

Décolonisez le programme scolaire. Les connaissances eurocentrées sont encore trop souvent considérées comme la norme


Le plan d’action est un plan complet et ambitieux, qui vise à former des citoyens du monde critiques et inclusifs. J’espère que l’université investira et continuera à libérer les ressources nécessaires pour transformer ce cadre en un plan qui pourra être mis en œuvre efficacement dans notre université. L’enseignement, sans la justice sociale comme sujet et sans réflexion critique sur les privilèges et la répartition des chances, reste vain. L’université doit fournir aux étudiants les outils nécessaires pour réfléchir de manière critique au passé et aux inégalités actuelles qui en découlent, et les encourager à être des acteurs de changement positif pour l’avenir empreint de défis. 

Ce qui, à mon sens, fait défaut dans la politique universitaire, c’est un filet de sécurité pour les étudiants victimes de racisme ou de discrimination. En tant que membre du conseil d’administration de l’AYO, je reçois régulièrement des messages d’étudiants qui sont victimes de racisme ou de discrimination à l’université. Nous faisons de notre mieux pour leur apporter notre aide, mais en tant que qu’association estudiantine, nous n’avons pas beaucoup de pouvoir. Des organismes existent bel et bien au sein de l’université pour s’occuper de ces cas, mais ils ne sont pas connus ou les incidents sont minimisés. Une université devrait être un lieu où les étudiants se sentent en sécurité, quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau.

Outre la discrimination dont les étudiants peuvent faire l’objet, la présence d’hommes et de femmes politiques d’extrême droite connus, susceptibles de proclamer leurs opinions racistes à l’université, est une épine dans le pied de nombreux étudiants. Nous espérons qu’à l’avenir, l’université adoptera une position plus claire à ce sujet. 

Ne nous contentons pas d’utiliser le nom de Patrice Lumumba pour baptiser cet amphithéâtre, mais incarnons-le dans nos actions


Pour moi, la décolonisation consiste à oser nommer les inégalités de pouvoir normalisées. Le changement est inévitable dans le processus de décolonisation. Ne nous contentons pas d’utiliser le nom de Patrice Lumumba pour baptiser cet amphithéâtre, mais incarnons-le dans nos actions. Oser amener le changement, être déterminé à le faire. Il est très facile de qualifier de manière simpliste cette action de « woke », mais cela demande un réel courage de remettre en question et d’ajuster un système fondé sur le white privilege (privilège blanc). C’est la seule façon de parvenir à un changement structurel. Car sans réel changement, notre université continuera de stagner. De stagner dans une position où les personnes au sommet sont à l’aise et les personnes au bas de l’échelle continuent à souffrir en silence.

Considérons cette inauguration comme un début. Un début de travail courageux, fier, dans l’esprit de Patrice Lumumba, pour construire le monde auquel nous aspirons pour demain.